2024-06-12 00:08:35
« Ici, on respire et on boit la poussière en permanence, c’est insupportable », témoigne Mamadou Coulibaly en colère, avant d’ajouter : « Les enfants souffrent souvent de maux de gorge et ont des irritations. » Beaucoup de gens ont des problèmes respiratoires. Lacina Soro, transitaire, la cinquantaine sonnée, se plaint de problèmes respiratoires depuis son arrivée ici : « J’étais bien portant lorsque je travaillais dans mon ancienne structure, mais depuis que je suis arrivé ici, j’ai les narines constamment bouchées ». Il poursuit en ajoutant : « Je me suis rendu dans plusieurs cliniques, mais personne n’arrivait à identifier la cause de mon mal. » J’ai dû faire des examens et on m’a diagnostiqué la sinusite. Vu mon âge, le médecin m’a demandé de quitter cet endroit si je veux éviter la mort ».
Le constat est clair : les usines censées contribuer au développement économique et social créent plutôt, pour les habitants voisins, un environnement nocif, mettant en péril leur santé et leur bien-être. Ici, on peut aisément constater que les émissions toxiques provenant des cheminées de cimenteries se répandent dans l’air du quartier. Les gaz d’échappement et les poussières de ciment se mêlent à l’atmosphère, formant ainsi un gros nuage gris. Les immeubles recouverts de bâches bleues dans l’unique but de protéger leurs habitants sont parsemés de poussières. Les véhicules stationnés sont recouverts de poudre grise. On y trouve même de petits dessins rigolos faits à base de poussière. Impossible de marcher dans la zone sans se boucher le nez de la main ou porter un cache nez. « On a l’impression de vivre dans un brouillard permanent de poussière grise », avance Zadi Eve, mère de trois enfants. « Mes enfants font souvent des crises d’asthme, on ne peut même plus ouvrir les fenêtres ni sécher le linge dehors », affirme-t-elle toute offusquée.
À 75 ans, Issouf Diop, agent de sécurité du quartier, costume jaune gris poussiéreux, déplore l’implantation de ces industries sur son lieu de travail : « Ça fait six ans que ces usines sont installées ici, et le quartier est en train de se vider. » Un jeune couple a perdu son enfant de six mois à cause de l’environnement toxique. Suite à cette nouvelle, les immeubles se sont vidés progressivement. À cette allure, il n’y aura plus personne ici et je risque de perdre mon travail.
La pollution de l’air causée par les industries de ciment a un impact direct sur la santé des populations riveraines, en particulier en ce qui concerne les maladies respiratoires. Le docteur Amadou Coulibaly, médecin exerçant dans le périmètre, affirme que de nombreux patients viennent se faire consulter pour des problèmes respiratoires et des allergies liées à la pollution industrielle : « Nous constatons une augmentation significative des cas d’asthme, de bronchites et d’autres affections respiratoires dans cette zone. » « Il y a clairement un lien avec les émissions des usines », déclare, inquiet, le médecin. Autour de son établissement sanitaire, les manguiers autrefois verdoyants sont recouverts d’une fine couche de poussière grise, dégradant ainsi la qualité des fruits jadis succulents et consommés par tous. Jean Martin, expert en environnement, explique ainsi les principaux problèmes liés à la pollution causée par les cimenteries : « Les émissions de dioxyde de carbone (CO2) ou gaz carbonique, provenant de la combustion des combustibles fossiles dans les fours à ciment, contribuent de manière significative au changement climatique ». Normalement, les grandes machines grises dégageant de grosses fumées noires étouffantes changent la couleur du ciel bleu.
Dès le début des activités des usines, des voix se sont élevées pour dénoncer la pollution que subissent les habitants. Ousmane Cissé, membre actif de l’association Environnement sain pour tous, lutte pour la préservation de l’environnement et la santé des habitants. Il déclare : « Nous avons recueilli des échantillons d’air et d’eau dans le quartier et les résultats sont alarmants. » Il est impératif que les cimenteries adoptent des technologies plus propres et réduisent leurs émissions polluantes. En fait, le manque de réglementation environnementale et de surveillance est à la base des problèmes. Les cimenteries semblent opérer avec une impunité relative, sans être tenues pour responsables de l’impact néfaste de leurs activités sur la population. Les résidents demandent aux autorités de renforcer les mesures de contrôle et de surveillance afin de protéger leur santé, leur qualité de vie et leur environnement, pour le moment en vain. Le président du Collectif des Riverains, Adama Koné, soutient : « La santé des habitants est en jeu, ces industries doivent impérativement revoir leurs processus de fabrication pour moins polluter. » Nous n’hésiterons pas à engager des poursuites si rien ne change. » Pour le moment, il est au stade de projet d’interpellation des autorités.
Sollicitée, la direction de l’usine de cimenterie de Treicville, quartier France Amérique, CIM IVOIRE, reconnaît « quelques dépassements des seuils réglementaires », mais affirme mettre en œuvre « un plan d’action ambitieux pour réduire leur impact ». Pour le moment, la pollution causée dans le quartier France Amérique de Treichville continue de créer une crise sanitaire et environnementale sans précédent. Les résidents qui subissent les conséquences néfastes de cette pollution luttent pour préserver leur hygiène de vie.
Les industries de ciment jouent un rôle majeur en fournissant les matériaux nécessaires à l'édification de nos villes et infrastructures modernes. Entre 2015 et 2023, notre pays a connu une forte pénurie de ciment due à la multitude de chantiers, ce qui a évidemment entraîné une implantation massive et pas toujours réglementée des cimenteries. Cette apparente prospérité cache un sombre revers : la pollution générée par ces industries dans les zones d’habitation comme la commune de Treichville, qui devient une zone de risque accru de maladies respiratoires et cutanées.
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Encadré
Mariam, la résilience faite commerçante
Mariam est commerçante de fruits. Son commerce est situé non loin de l’unité industrielle de ciment, CIM IVOIRE. Elle a arrêté ses études en classe de CM2 et a décidé de se lancer dans le commerce pour subvenir aux besoins de sa famille. Taille moyenne, teint noir et vêtue d’une robe violette, chapeau noir sur la tête et écharpe verte au cou, cette habitante du quartier France Amérique est séparée de l’usine de ciment par une simple rue. Chaque matin, dès 7 heures, elle sort pour vendre devant sa cour. Sur un étal, sont posées des mangues, des oranges et des bananes. Juste à côté, une glacière bleue contient des boissons énergisantes.
Son quotidien est d’une monotonie glaçante. Après cinq minutes d’installation, ses marchandises sont déjà recouvertes de poussières de ciment. « Autrefois, on pouvait respirer sainement sans attraper la grippe, mais ce n’est plus le cas depuis que cette usine a fait son apparition ici ». Désormais, c’est la poussière que l’on respire et expire. « C’est avec la poussière que l’on cohabite », raconte la jeune commerçante à qui veut l’entendre. La situation dépeinte, elle renchérit : « À cause de la poussière, on est obligé de porter un cache-nez, ce qui est difficile pour nous qui sommes asthmatiques ». Mes enfants ne passent pas deux semaines sans attraper la grippe. Tu balayes la maison, c’est comme si tu n’as rien fait.
La trentaine révolue et mère de cinq enfants, Mariam Quindo a les traits tirés. Par manque de moyens, elle est obligée de vivre avec cette poussière industrielle et toxique chaque jour, en dépit de son état de santé précaire. Son commerce, autrefois florissant, est désormais plus que menacé par la poussière dégagée par cette usine de ciment. Ses marchandises sont refusées par certains clients à cause de la poussière qui les recouvre. « Le ciment nous fatigue ». Très souvent, les clients viennent, touchent mes fruits et s’aperçoivent qu’il y a de la poussière là-dessus. « Alors, ils refusent de les acheter », raconte Mariam, avec tristesse.
Malgré toutes ces difficultés endurées, Mariam n’abandonne pas. Elle continue son commerce dans cette poussière, au risque de toutes les maladies inhérentes.
Joseline COULIBALY
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Encadré
Conseils de spécialistes sauveteurs
Selon les spécialistes, les émissions massives de dioxyde de carbone (CO2) ou de gaz carbonique contribuent de manière significative au réchauffement climatique. Elles sapent tous les efforts pour lutter contre ce fléau planétaire.
Les populations vivant à proximité de ces installations industrielles subissent les contrecoups de cette pollution insidieuse, souffrant de problèmes respiratoires, de maladies pulmonaires et d’autres affections liées à la qualité de l’air.
Les mêmes spécialistes conseillent de prendre conscience de l’impact dévastateur des cimenteries sur notre environnement. Ces géantes de l’industrie de la construction, qui ont longtemps été négligées, sont devenues les protagonistes d’une crise environnementale croissante. Pour ces spécialistes, il est temps de demander des comptes aux cimenteries pollueuses. Le mécanisme est trouvé.
Les gouvernements, les organismes de réglementation et les acteurs industriels doivent prendre des mesures concrètes pour réduire leur empreinte environnementale. Des normes plus strictes en matière d’émissions doivent être mises en place, avec des contrôles réguliers pour garantir leur respect effectif.
« Nous ne pouvons plus nous permettre de sacrifier notre environnement et notre santé sur l’autel du développement ». L’heure est venue de passer à l’action, de demander des comptes et d’exiger des solutions concrètes. Notre avenir en dépend.
Olvene Ehoussou