Me Marie BRIDJI (avocate au Barreau de Paris) : « La situation d´infirmité ne peut servir de prétexte à la mendicité »


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Par Aude Carole et Colo
Mis à jour le 2024-01-21 22:13:20

Les dispositions législatives sur la mendicité assurent la protection des personnes afin de les mettre à l´abri des troubles nés de la commission d´actes délictueux contre la paix et la tranquillité publique. De ce fait, l´arsenal juridique sur la mendicité s´est construit en tenant compte de l´état dangereux de l´individu pratiquant la mendicité. L´article 217 du code pénal incrimine la mendicité en ces termes : « Toute personne qui, capable d'exercer un travail rémunéré, se livre habituellement à la mendicité, en usant de menaces ou en entrant contre le gré de l'occupant soit dans une habitation, soit dans un enclos en dépendant est punie d'un emprisonnement de dix mois à deux ans ». C´est de cela que nous parle, dans cette interview, Me Marie BRIDJI, avocate au Barreau de Paris, enseignant-chercheur à l´université Félix Houphouët-Boigny, vice-présidente de l´Association des Juristes et Avocats ivoiriens de France.




Maitre Bridji, à quel moment l’infraction de mendicité est-elle "consommée" ? 
 
Si on se réfère à la mouture actuelle de l’article 217 du Code pénal, les éléments matériels constitutifs de l’infraction de mendicité sont :  La capacité du prévenu à exercer un travail rémunéré, ce qui bien évidemment exclut du champ d’application de l’infraction une catégorie de personne dont les mineurs, les majeurs incapables et certaines personnes en situation de handicap ne pouvant exercer une activité rémunérée. Le handicap ne signifie toutefois pas systématiquement une impossibilité d’exercer un travail rémunéré ;  La notion d’habitude qui reste centrale pour caractériser l’infraction de mendicité également. L’infraction ne pourra être caractérisée que par la réitération de l’acte de mendicité, donc à partir du deuxième acte de mendicité. 
Enfin, (et cela apparaît comme une nouveauté par rapport à l’ancien article 190 de notre loi qui régissait la mendicité) l’acte de mendicité ne sera réalisé que parce que l’individu concerné aura fait usage de menace ou serait entré contre le gré de l'occupant soit dans une habitation, soit dans un enclos en dépendant. Ce qui exclut de facto du périmètre du délit d’infraction pour mendicité, toutes les personnes remplissant les deux premiers critères mais ne faisant pas usage de menace à l’égard des tiers. 
 
Celui qui donne de l'argent à une personne en situation de mendicité se rendt-il complice de l’infraction ? 
 
Comme indiqué précédemment, les personnes en situation de mendicité ne tomberont sous le coup de l’article 217 du code pénal que parce qu’elles auraient fait usage de menaces ou seraient rentrées sans autorisation dans la propriété privée d’une personne. Or dans cette configuration, celui qui donne de l’argent à une personne en situation de mendicité ne l’aurait fait pratiquement que sous l’effet de la menace et donc serait plutôt une victime et non un complice.
La notion de complicité qui est définit à l’article 30 du code pénal précise qu’est « Est complice d'un crime ou délit, celui qui, sans prendre une part directe à sa réalisation, en connaissance de cause : procure tout moyen devant servir à l'action tel arme, intrus- ment ou renseignement ; aide ou assiste directement ou indirectement l'auteur de l'infraction dans les faits qui la consomment ou la préparent. » 
 
Un constat est fait de manière générale aux abords des rues ou voies d'Abidjan : les mendiants sont partout au point de par moment gêner automobilistes et piétons. Qu'est-ce qui selon vous, empêche l'application de ces dispositions et que doit-on faire pour que la loi soit respectée ? 

D’abord, il nous faut nous assurer que ces personnes dans les rues ou sur la voie publique sont effectivement des personnes en situation de mendicité, au sens de l’article 217 de la loi portant code pénal.  Je crains que non, compte tenu du caractère restrictif de l’infraction de mendicité. Il faudrait plutôt regarder du côté des infractions de troubles à l’ordre public et à la paix public prévus dans les dispositions générales du code pénal ; et principalement à l’article 2 qui dispose : « Constitue une infraction tout fait, action ou omission, qui trouble ou est susceptible de troubler l'ordre public ou la paix sociale en portant ou non atteinte aux droits des personnes et qui comme tel est légalement sanctionné. ». 
La situation de ces personnes « mendiant » sur la voie publique pourrait relever du trouble à l’ordre public ou à la paix sociale. Le maintien et le rétablissement de l’ordre public sont assurés par la police nationale et la gendarmerie nationale. C’est donc à eux de juger de l’opportunité des poursuites pour rétablir l’ordre public. 
 
L'adage dit effectivement que nul n'est censé ignorer la loi. La population saitelle véritablement que des lois ont été édictées pour encadrer ce phénomène ? 
 
Connaître l’ensemble des dispositions existant dans l’ordre juridique ivoirien sur la mendicité relève de la fiction juridique. Cette maxime est un principe dont on sait la réalisation impossible mais qui demeure nécessaire au fonctionnement de l’ordre juridique. 
 
Si certains mendient pour juste avoir de l'argent sans fournir de gros efforts, d'autres le font parce qu'ils sont en situation d'infirmité ou parce qu'ils sont aveugles par exemple. Ces personnes doivent-elles être qualifiées de « mendiant » au même titre que les personnes en bonne santé qui s’adonnent à cette pratique ?
 
Dès lors que l’infraction de mendicité est caractérisée, la situation d’infirmité ou d’handicap ne peut servir de prétexte pour excuser la dangerosité de la personne en situation de mendicité.  La loi s’applique à tous et en l’état, les dispositions de l’article 217 ne fait aucune distinction entre une personne en bonne santé ou non qui s’adonnent à cette pratique.  
 

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