Les langues étrangères à l´école: Matières utiles mais menaçante pour la culture


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Par Maury DIABAGATE
Mis à jour le 2024-01-21 22:11:10

« On a eu le nez creux en Côte d´Ivoire en introduisant les langues étrangères dans notre système d´apprentissage. Désormais, nous voyons l´utilité de ces langues grâce à la mondialisation qui s´est accentuée ces dernières décennies ». Ces propos sont de Gnagna Zadi Théodore, professeurs de Lettres et président de la Plateforme nationale des Organisations professionnelles publiques.


  La Côte d’Ivoire est un pays multiethnique, dit-il. L’introduction du français en tant que langue nationale, à entendre Gnagna Zadi, ne peut être que saluée. « Aujourd’hui, doit-on considérer le français comme une langue étrangère ? Non, parce qu’il est devenu notre langue nationale. C’est grâce au français que nous avons une ouverture sur le reste du monde, parce que c’est une langue conventionnelle », ajoute-t-il. M. Zadi ne croit pas si bien dire.

   Selon Dr Yéo Kanabein Oumar, enseignant de langage à l’université de Cocody, également secrétaire général du Collectif des Enseignants-Chercheurs (Codec), « les langues étrangères permettent de nous ouvrir sur l’étranger, d’échanger nos cultures parce que nos langues maternelles sont limitées », note-t-il. Pour le secrétaire général de la Codec, le monde d’aujourd’hui implique une ouverture et se renfermer sur soi ne peut être que préjudiciable pour une société. Or, dit-il, la meilleure manière de cultiver l’ouverture, c’est l’échange de culture, à travers la langue. « Partout, dans tous les domaines, nous avons besoin des langues. Pour expliquer quelque chose, il faut le langage », fait-il savoir.

   L’ouverture et la mondialisation, sont-elles les uniques raisons d’apprendre les langues étrangères ? « Ce sont aussi des sources de débouchées. Nous sommes un pays francophone. Parler français n’est, de ce fait, pas une prouesse, mais une évidence. Ce que nous cherchons à avoir, cependant, c’est une plus-value, c’est-à-dire, parler une autre langue », explique Allah Saint-Clair, alias Makélélé, le secrétaire général de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI). Qui ajoute : « Par exemple, je cherche à parler le mandarin parce que j’en ai besoin pour mes futurs projets ». En termes de débouchées, selon le secrétaire général de la FESCI, parler une langue étrangère permet d’étoffer son Curriculum Vitae. « En Côte d’Ivoire, l’anglais est pour cela devenu la langue que tout le monde veut parler, après le français. C’est une langue commerciale. Et le commerce est ce qui régit le monde. Pour quelqu’un qui veut avoir du travail, c’est intéressant de parler anglais », poursuit Makélélé.  Kotchy Aimé, professeur d’allemand au Lycée moderne d’Abobo, note qu’aucune nation ne peut prospérer sans les autres. « Nous aurons toujours besoins des autres. Et enseigner les langues étrangères est utile dans ce sens. Parler une langue étrangère permet d’établir la confiance, de faciliter la coopération avec les autres pays. C’est un créneau à prendre. Etre enseignant d’anglais ou d’allemand sera toujours recherché en Côte d’Ivoire. Ce sont des postes qui sont demandés dans les universités et les lycées », mentionne M. Kotchy.

   Cependant, l’impact des langues étrangères n’est pas toujours aussi perceptible. « Avant, les pays dont on apprend les langues sur le sol ivoirien nous appuyaient dans ce sens, avec des bourses, des voyages, etc. Mais, aujourd’hui, tout cela a cessé. L’apprentissage des langues étrangères a reculé en Côte d’Ivoire. Il n’y a que l’anglais qui prend de la place. Toutes les autres langue vivantes 2 tendent à être reléguées à un troisième plan », regrette Gnagna Zadi Théodore. Pour Ako Nomel, ex-secrétaire général de la Coalition des Syndicats des Enseignants du Secteur Education/formation (Cosefci), des langues comme le latin et le grec ont presque disparu en Côte d’Ivoire. « Ces langues n’ont plus leur utilité. Aujourd’hui, lorsqu’on apprend une langue étrangère, le but est qu’elles puissent nous servir. À quoi peut servir d’apprendre le latin, le grec, l’allemand, l’espagnol, pour un Ivoirien ? Le colonisateur a tenu à ce que nous apprenions sa langue lorsqu’il est arrivé en Afrique. Mais, nous ne sommes plus colonisés et ce que nous constatons, c’est que les Ivoiriens veulent apprendre leurs langues maternelles », développe Ako Nomel.

   Selon un proche collaborateur de la ministre de l’Education nationale et de l’Alphabétisation, des projets pilotes sont en cours en Côte d’Ivoire, pour l’introduction des langues maternelles dans le système éducatif ivoirien. « Ce que nous avons remarqué, c’est que les Ivoiriens parlent de moins en moins leurs langues. Or, la Côte d’Ivoire est un pays riche en ethnies. Est-ce qu’on aimerait voir un jour notre culture disparaître ? Non », explique cette source. L’une des causes de ce phénomène, selon lui, reste le français qui prend de plus en plus de place, mais aussi l’anglais. « Quoi qu’on dise, aujourd’hui, la configuration du monde fait que l’anglais est destiné à prendre plus de place en Côte d’Ivoire », s’étend notre informateur. Au point où son introduction au primaire est même fortement envisagée. La solution, pour lui, c’est d’accepter ce fait, mais aussi d’introduire nos langues dans le système pour qu’elles ne prennent pas un coup.

   « Nous avons besoins des langues étrangères pour aller de l’avant. Mais, nous pensons que seul l’anglais est nécessaire. Donnons-lui de l’importance. Mais, à la place des autres langues, je propose qu’on y mette certaines langues maternelles, comme le baoulé, le malinké », propose Claude Aka, président de l’Organisation des parents d’élèves et d’étudiant de Côte d’Ivoire (Opeeci). Pour les acteurs, les langues étrangères restent utiles et ont un impact positif pour la Côte d’Ivoire. Cependant, elles pourraient contribuer à éclipser la culture locale.

Maury DIABAGATE

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