Les langues étrangères à l´école: L´étrange absence des langues locales


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Par ISTC
Mis à jour le 2021-06-17 10:00:42

Mademoiselle Sylvia, professeur d’anglais, soutient que les langues étrangères apprises à l’école n’influent nullement la langue nationale. « Ces langues étrangères sont apprises pour un but spécifique, notamment pour des opportunités d’emploi ou pour une question de compétences ajoutées à ses pré-acquis.




Seulement, nos langues maternelles sont au fur et à mesure oubliées au détriment du français, la langue officielle, ou des autres langues apprises à l’école », dit-elle. Pour la jeune enseignantes, la question des langues dépend de chaque localité ou région : « Au Nord de la Côte d’Ivoire où la religion musulmane est un peu plus prononcée, la langue maternelle de cette localité tend à devenir une langue officielle qui est parlée presque partout, notamment dans les marchés, en ville et même à l’église ».    

L’avis de Mlle Sylvia est largement partagé. Une étudiante en espagnol à l’université Félix Houphouët-Boigny, avance que « nos langues nationales restent intactes, car même si les langues étrangères sont étudiées et parlées en Côte d’Ivoire, elles ne se parlent pas au quotidien et c’est souvent à l’école que l’on fait l’effort de les parler, en dehors du qui fait l’exception ».

Selon Pr. Boni, anthropologue à l’université de Bouaké, « pour pérenniser ou faire survivre les langues dites maternelles, le multilinguisme et la diversité culturelle de l’Afrique constituent des atouts qui doivent être mis à profit, vu qu’en Afrique, le multilinguisme est de règle partout ». Pour cet autre enseignant, les langues étrangères ne constituent ni une menace ni un fardeau, encore moins un problème susceptible d’isoler le continent de la connaissance et de l’émergence d’économies du savoir : « Par conséquent, le choix des langues, leur reconnaissance et leur place dans le système d’éducation, le développement de leur potentiel expressif, ainsi que leur accessibilité au grand public ne doivent pas suivre un principe d’exclusion, mais devraient plutôt se traduire par une approche progressive, concentrique et globale ».

Alors, Pr. Boni fait des recommandations : « Que les politiques et les pratiques en Afrique favorisent le multilinguisme, principalement fondé sur la langue maternelle, avec un espace adéquat pour les langues de communication internationale. Nous recommandations aussi, pour l’investissement dans les langues maternelles et l’éducation multilingues, des solutions telles que l’amélioration de l’accès à l’apprentissage et à l’information, puis rendre l’enseignement efficace en utilisant les langues maîtrisées par les apprenants, et en proposant des programmes pertinents du point de vue socioculturel. Il faut aussi favoriser davantage le recours aux langues maternelles dans le contexte éducatif et utiliser un guide de politique d’intégration de ces langues et cultures africaines dans les systèmes éducatifs ».

D’après des études menées sur les langues maternelles et le développement linguistique pour l’éducation en Afrique, environ 200 langues nationales africaines dites maternelles sont utilisées dans les écoles africaines, principalement dans les petites classes du primaire. Mais peu de langues maternelles sont enseignées aux niveaux secondaire et universitaire. Bien que ces exemples montrent que les langues maternelles ou nationales peuvent être utilisées exactement comme n’importe quelle autre langue à tous les niveaux de l’éducation formelle, leur adaptation continue à susciter des doutes.

Un grand nombre de projets visant à introduire un enseignement bilingue fondé sur la langue maternelle rencontrent la résistance de parents et d’enseignants. Pour certains, les langues maternelles ne sont pas modernes, leur développement requiert trop d’argent et de temps. Il est redouté que même si l’on voulait davantage intégrer les langues maternelles au système scolaire formel, le développement du vocabulaire de ces langues, la formation des enseignants et la préparation du matériel d’enseignement et d’apprentissage nécessiteraient trop de temps et de ressources. Pour d’autres, beaucoup d’enseignants formés par et pour l’éducation classique dans une langue étrangère ne sont pas convaincus des avantages de l’usage des langues africaines. Quatre principaux arguments récurrents et persistants contre l’enseignement multilingue fondé sur la langue maternelle sont avancés :

Premièrement, l’utilisation de plusieurs langues maternelles dans l’enseignement est perçue comme un obstacle à l’unité nationale. En d’autres termes, l’unité nationale nécessiterait un monolinguisme officiel et l’utilisation de plusieurs langues maternelles accentuerait les conflits interethniques. Pour éviter ou enrayer ces conflits, il faudrait utiliser une langue dépassant les limites de l’ethnie ou de la tribu, ce qui reviendrait la plupart du temps à utiliser une langue étrangère.

Deuxièmement, les langues maternelles ne pourraient pas se moderniser ni se développer ou être développées et, dans tous les cas, elles seraient inférieures aux langues coloniales qui ont maintenant le statut de langues officielles. Par conséquent, elles devraient céder la place aux langues utilisées au niveau international.

Troisièmement, l’utilisation universelle et dominante de la langue maternelle comporterait un risque d’isolement. Elle serait une interférence dans la promotion de la langue universelle, ce qui mènerait à une maîtrise insuffisante et à un gaspillage linguistique car le temps consacré à l’apprentissage de la langue maternelle le serait au détriment des langues ‘’largement parlées’’, particulièrement les langues internationales.

Quatrièmement, les vertus psychologiques, linguistiques et cognitives mises en exergue en faveur de l’apprentissage en langue maternelle sont perçues comme émanant de groupes de pression multiculturels et n’ayant pas vraiment de lien avec des faits observés de façon empirique.

Cinquièmement, le fait de s’instruire de façon irréversible dans sa langue maternelle serait une erreur d’un point de vue économique. D’après les arguments avancés, une augmentation du nombre de langues utilisées dans l’éducation mènerait à une augmentation presque exponentielle des coûts. Il y aurait un manque chronique de livres et de matériels d’enseignement, avec des problèmes de travail créatif, de traduction, de publication et de diffusion de ces langues. Il y aurait également un sérieux manque d’enseignants qui maîtrisent les langues maternelles, et leur formation entraînerait des dépenses supplémentaires élevées. Enfin, les parents et les enseignants rejetteraient l’enseignement en langue maternelle et boycotteraient les réformes politiques visant à promouvoir un enseignement en langue maternelle.

Comme approche de solution, le Professeur Boni explique que, dans un premier temps, il faut parler du contexte de l’introduction des langues étrangères au niveau local et retenir que dans l’espace francophone, la langue officielle en Afrique est héritière de l’école française dont elle a gardé l’esprit et les grandes lignes directrices. Au collège et au lycée, les langues vivantes enseignées étaient les mêmes que celles qu’étudiaient les jeunes fréquentant des établissements scolaires en France, avec les mêmes programmes, les mêmes ouvrages et les mêmes certifications. Et c’est à l’académie de Bordeaux qu’étaient rattachés les pays d’Afrique.

Concernant l’avenir ou le devenir des langues nationales ou maternelles, l’enseignant explique que les langues étrangères correspondent aux grandes langues de communication internationale, ce qui justifie, sans doute, la raison principale de leur choix ou de leur maintien dans les différents systèmes éducatifs africains. Il importe donc d’ouvrir les jeunes au monde et de favoriser la participation du pays et de ses cadres, en particulier, à la vie globale. L’apprentissage d’une langue constitue aussi la voie royale pour se familiariser avec la culture qu’elle véhicule et s’enrichir de ce qu’apporte nécessairement cette culture différente.

Ces mêmes études montrent cependant que les langues maternelles sont des trésors qui n’ont pas encore été entièrement découverts, appréciés et utilisés. L’un des principes universels du développement des langues est que ces dernières se développent lorsqu’elles sont utilisées. Par conséquent, toute langue peut être utilisée dans n’importe quel but. Une langue est aussi flexible que ses locuteurs. Ainsi, les langues maternelles peuvent être utilisées comme langues d’éducation jusqu’à la fin de l’enseignement supérieure.

Jemima Orou

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                                                                 ENCADRE: Ce qu’il faut savoir sur les langues

Pour enraciner la définition de langue maternelle dans la réalité linguistique africaine, nous donnons à ce terme une signification plus large : il s’agirait de la ou des langues de l’environnement immédiat et des interactions quotidiennes qui construisent l’enfant durant les quatre premières années de sa vie. Ainsi, la langue maternelle correspond à une ou plusieurs langues avec lesquelles l’enfant grandit et apprend la structure avant l’école. Dans les contextes multilingues comme le sont de nombreuses sociétés africaines, les enfants grandissent naturellement avec plus d’une langue maternelle, car plusieurs langues sont parlées dans leur famille ou dans leur voisinage immédiat.

Jemima OROU

 

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