La face cachée d´un business risqué


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Par Jean-Cyrille OUATTAR
Mis à jour le 2021-06-24 11:32:54




Mai 2020.Le Président des éditeurs de Côte d’Ivoire rencontre, urgemment, Raymonde Goudou Koffi, alors ministre de la Culture et de la Francophonie. Il fait un plaidoyer pour l'industrie du livre, spécialement pour les éditeurs qu'il représente. Le Coronavirus fait des dégâts et le secteur livresque en souffre terriblement. Mais cette pandémie n’est pas à l'origine de tous les maux du secteur, surtout pour l’investissement élevé et la rentabilité pas toujours au rendez-vous.

Etty Macaire est souriant. L’auditoire face auquel il se trouve, à l’occasion d'un café littéraire à l’hôtel communal de Cocody déshabille des yeux« Zaouli », son dernier chef-d’œuvre, dont la présentation l'a rendu paradoxalement anxieux. Cet écrivain chevronné a raflé énormément de distinctions et est auréolé de multiples nominations qui revigorent sa carrure d'éminent littéraire. La petite salle refuse du monde. La fierté se lit de plus en plus sur son visage de moins en moins crispé. Les ovations sont à son honneur, les éloges à celles de son parcours et les appareils photo crépitent à sa gloire. Mais l’écrivain reste sobre : « Arrêtez de croire qu’un écrivain se fait beaucoup d’argent parce qu'il a vendu plusieurs exemplaires de ses œuvres. Ça ne se passe pas ainsi. L’écrivain ne perçoit que 10% sur chaque œuvre. Donc, si une œuvre coûte 3 000 FCFA et que vous l'achetez, en réalité, l’auteur ne touche que 300 FCFA ».La salle est glacée. Les chiffres font froid dans le dos. Le modérateur est bouche bée. « Une autre partie doit revenir à la librairie, soit 35% pendant que 30% vont aux maisons d’édition et autres intervenants dans la chaîne »,précise l’écrivain pour son public composé surtout d'élèves et d’étudiants.

Le lendemain, Etty Macaire dresse un autre bilan pour Le Communicateur :« J’ai dépensé plus de 200 000 FCFA pour ma dernière œuvre mais je ne peux pas estimer la rentabilité pour l'instant parce que le bilan se fait annuellement. De plus, la piraterie sévit fortement dans notre domaine ».

En Côte d'Ivoire, il est difficile de rencontrer des écrivains qui font de l’écriture leur unique activité. Pour joindre les deux bouts, il leur faut combiner au moins deux activités. Emmanuelle Djèlou, juriste de formation et de profession, est spécialisée dans le droit des affaires. Ses débuts en tant qu'écrivaine ont été financièrement éprouvants. Sa première œuvre lui a coûté très cher : « J’ai dépensé pratiquement 500 000 FCFA pour cette œuvre »,arrondit-elle, léger sourire au coin des lèvres. Heureusement, son œuvre a été rentable. « J'ai récupéré l’argent que j’ai investi, ça c’est sûr. Le bénéfice n'a pas été grand, mais l'œuvre a suffisamment été vendue »,se satisfait-elle, les pieds croisés, le sac noir à l’épaule. Sur le poids de l’investissement, la juriste, occasionnellement écrivaine, déclare : « Je n’ai pas été la seule à sortir de l’argent pour financer cette œuvre. On m’a aidée. On m’a beaucoup aidée car seule, ça aurait été difficile ».

Dans le domaine du livre, le type ou la nature de l’œuvre a un impact important sur l’investissement ou le rendement. Le courant littéraire choisi est déterminant. Un roman, courant bien apprécié du public, peut coûter plus cher. Seidick ABBA est journaliste et écrivain. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont le dernier en date, publié en janvier 2020, s’intitule « Pour comprendre Boko Haram ». En vente physiquement et numériquement sur des plateformes en vogue comme Amazon,cette œuvre de 102 pages consacrée au terrorisme est chèrement commercialisée. : « La version physique coûte 10.000 FCFA. Au regard de la thématique, c’est ce prix qui a été fixé »,renseigne l’écrivain.

La vente du livre est régulièrement influencée par les librairies par terre, dans la rue. « Notre librairie a un chiffre d’affaires qui s’élève à des centaines de millions sur la dernière décennie », déclare le responsable commercial de la librairie « Carrefour Siloé ». En presque 60 ans d’existence, cette librairie est devenue incontournable mais a vu sa rentabilité fortement affaiblie autant par la pandémie à Coronavirus que par les librairies par terre. « Dans la période de la rentrée scolaire, nous perdons entre 70 et 80% de bénéfice par la faute des librairies par terre »,se révolte le libraire. Qui, malgré tout, continue d’engranger beaucoup d’argent : « Notre chiffre d’affaires annuel avoisine le milliard », soutient-il.

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