Dans l´univers des victimes


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Par Florent NEAKIN
Mis à jour le 2024-01-21 22:10:05

Le Proviseur est absent,ce mardi 11 novembre 2021, au lycée municipal d´Attécoubé 1. C´est M. Adama Sanogo,censeur dudit lycée qui nous reçoit. Mais avant d´atteindre le bloc administratif de l´école, l´on remarque que la cour et les salles de classes sont vides. Pourtant, c´était bel et bien un jour d´école. Renseignement pris, les élèves ont manifesté parce qu´ils voulaient aller précocement en congé.


Le Lycée municipal d’Attécoubé est réputé être un nid de violences. Notre interlocuteur du jour en est une victime. « C’était en 1990, j’étais encore enseignant. Après les cours, je cherchais à rentrer. Au moment de prendre place dans mon véhicule, je reçus un caillou à la tête. J’ai commencé à saigner. J’étais donc obligé d’abandonner mon véhicule et me frayer un chemin. Et j’ai même envie de dire que c’est ce qui m’a permis d’avoir la vie sauve », raconte le Censeur.  Qui explique qu’il ne sait pas s’il avait été agressé par des membres de la FESCI ou par de simples élèves ».

 Pour ce proche collaborateur du Proviseur du Lycée municipal d’Attécoubé1, c’est en 1990 que les violences se sont installées dans les écoles ivoiriennes. Et ce, avec les manipulations qui ont précédé le retour du multipartisme en Côte-d’Ivoire. « Les violences ont pour origine le milieu estudiantin. L’une des conséquences a été la mort de l’étudiant Thierry Zébié en 91 », révèle le censeur.

Sanogo a ajouté que les conséquences sont plusieurs et de multiformes. Malheureusement, l’Etat n’a pas encore trouvé la panacée pour empêcher ces troubles. « Même aujourd’hui, mardi 11 mai, avant votre arrivée, nous étions obligés de demander aux élèves de rentrer chez eux et de revenir vendredi 14 parce qu’ils avaient commencé à manifester. La raison, ils voulaient des congés anticipés », a-t-il lancé, l’air dépité avant de souligner que Pendant le cafouillage, il y a eu des blessés, certains élèves étaient traumatisés. D’autres même sont tombés en transe ».

 « Je n’ai pas été traumatisé par l’expérience vécue. Mais j’ai failli quitter le pays. Aujourd’hui, si j’occupe ce poste, c’est grâce à ma persévérance. J’ai oublié tout ça. Mais j’emprunte aujourd’hui la route de l’école avec une « prudence à outrance », a-t-il souligné. Mieux, il indique que lorsqu’il y a des manifestations, il ne s’approche jamais ou bien il s’enferme dans son bureau.

Mlle Roseline Akoua (ce n’est pas son vrai nom), la trentaine révolue, vit à Yopougon dans le sous-quartier de Banco 2. Cette jeune dame, aujourd’hui enseignante dans un établissement privé est aussi victime de la violence en milieu estudiantin.

  A l’époque, elle était étudiante à l’université de Cocody. Elle se souvient encore de ce jour où sa vie a failli basculer. « C’était en 1995, nous attendions tous le bus au quai de la SOTRA, devant le CHU de Cocody. Moi, je rentrais sur Yopougon. Ce jour-là, on avait fini les cours à 18 heures. Et pendant qu’on attendait le bus numéro 85 qui désert la commune de Yopougon, une bagarre a éclaté entre des étudiants. Tout à coup, l’un des étudiants qui participait à la rixe s’est écroulé. Il avait reçu un violent coup à la nuque ». Elle explique que l’agressé saignait du nez. Avant de révéler que c’était la débandade. « Moi, j’ai couru sans savoir où j’allais au juste. Dans ma course, je voulais sauter un caniveau. C’est là quelqu’un m’a poussée », racontait-elle, les yeux larmoyants. En fait, elle s’est retrouvée dans la fosse avec plusieurs blessures aux coudes et au front.

Après cette épisode, elle s’est juré de ne plus remettre les pieds à l’université de Cocody après l’obtention de la Licence. « Plus jamais, je remettrai les pieds au campus. Cette mésaventure m’a traumatisée et j’en garde encore des séquelles », a-t-elle juré. L’on retient que cette situation a marqué Mlle Roseline Akoua. Au point où l’évocation de cette scène provoque chez elle, jusqu’à ce jour de très fortes émotions.

Serge Batoua, lui est directeur des Etudes au Collège Monajoce, un établissement secondaire privé situé dans la commune de Yopougon, précisément au quartier Sideci. Il soutient que les troubles ont commencé en 1990. « Malheureusement, cela a pris de l’ampleur à cause de la crise survenue en 2011 », affirme-t-il. Selon lui : « les adolescents dont l’âge varie entre 13 et 15 ans n’ont pas été pris en charge psychologiquement. Alors que beaucoup d’entre eux ont été des témoins oculaires ou victimes des exactions commises lors des différentes crises qui ont secoué le pays de 2000 à 2011. 

Pour ce qui est des conséquences, on assiste impuissants, à toutes sortes de scènes de violences, qu’elles soient internes ou externes. Avec l’émergence des fumoirs aux alentours de nos écoles. Chose grave, des élèves viennent avec de la drogue en classe », dit-il très amer.

K.L., lui est parvenu à se faire une place au soleil grâce à ces mêmes violences. « Aujourd’hui, si je fais partie des forces de l’ordre, c’est grâce à la violence », a confessé le résident d’Abobo. Sans toutefois rentrer dans les détails, il révèle qu’il était militant actif à la FESCI. « Je me démarquais toujours des autres par mes actions sur le terrain », a-t-il insisté. L’on n’en saura pas plus. « S’il te plaît, je ne peux pas t’en dire plus, n’insiste pas ! », coupa-t-il la conversation sèchement.

Les violences en milieu scolaire et estudiantin, c’est une réalité. Une triste réalité qui ne cesse de ternir l’image de l’école ivoirienne. A quand donc la fin de ce calvaire ?

 Florent NEAKIN

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